Monsieur le ministre,
Comme beaucoup de Français, je ne manifeste pas beaucoup d’empathie à votre endroit. La manière dont vous vous êtes laissé instrumentalisé par l’actuel Président entre les deux tours de la dernière élection présidentielle constituait une bonne base de départ. Mais il est vrai que, depuis, votre collègue du gouvernement Marie-Anne Montchamp vous a battu à plates coutures dans cette compétition sportive. Je n’ai pas non plus apprécié votre soi-disant trait d’humour, concernant votre autre collègue NKM l’autre jour. Dire qu’elle est plus en os qu’en chair devant une assemblée, et de la part d’un ministre de la République, n’est ce pas montrer de manière définitive en quoi la dignité vous est inconnue ? D’autant que vous avez là donné l’occasion à vos détractrices de dénoncer votre machisme. Or, je souhaite défendre le macho. En l’occurrence, cette allusion n’a rien de machiste. Il s’agit d’une muflerie de bas étage.
Traître, mufle, voilà qui devrait vous habiller suffisamment pour cet hiver lequel s’annonce rigoureux, si j’en crois mon thermomètre en cette matinée franc-comtoise. Mais il faut chercher ailleurs mon courroux. Hier soir, j’ai pris connaissance de vos déclarations concernant le site WikiLeaks et votre refus de le voir installé en France. Non pas que j’éprouve de la sympathie pour les activités de Monsieur Assange ; en l’occurrence je partage largement les préoccupations que Koz a exprimées l’autre jour. Vous avez donc pris prétexte des déclarations de Barack Obama qui avait qualifié ce site de « criminel » pour le déclarer non grata en France. Peut-on préciser que ce site n’a pas été déclaré hors-la-loi aux Etats-Unis et que ce n’est pas le gouvernement de ce pays qui ne souhaite plus l’accueillir mais seulement son hébergeur historique, Amazon ?
Grâce à vous, notre pays est le seul, dans ce qu’on appelle le « monde libre », qui interdit l’hébergement un site d’information ou d’opinion sur son territoire alors qu’il s’exprime pourtant dans le strict respect de la Loi. Et qui en interdit l’accès. Il s’agit d’un délit de sale gueule. Et j’ai déjà dit que la gueule était effectivement sale. Mais cette interdiction est une honte. Parce qu’il s’agit maintenant d’un dangereux précédent. Qui empêchera demain un ministre, vous ou un autre, de s’appuyer sur ce précédent pour suivre, par exemple, les préconisations du MRAP ? Les sites jugés racistes demain, les sites jugés homophobes après-demain, les sites jugés encourager le terrorisme un autre jour, les sites jugés anti-européens -et donc certainement mon carnet politique- la semaine prochaine : monsieur le ministre de l’information numérique, vous avez du pain sur la planche.
Il y a tout de même quelques petites choses à expliquer, monsieur le ministre. Trois, au moins.
D’abord, pourquoi n’avez vous pas fait saisir dans les kiosques les exemplaires du Monde qui ont repris toutes les informations de ce site alors même que la directrice de la rédaction du quotidien du soir assumait une fructueuse collaboration avec ledit medium ? On imagine Paris à midi, alors que tout le monde sort du bureau pour aller se restaurer et la maréchaussée qui nous saisit notre journal sous le nez. Pas mal, comme symbole, non ? Vous n’avez pas voulu courir ce risque et on vous comprend. Pourtant, si ces infos étaient criminelles, comme le disait Dieu Obama lui-même, la logique qui vous conduit à interdire WikiKeaks en France aurait dû vous amener à interdire Le Monde.
Ensuite, comme tout le monde, j’ai appris les révélations de ce site criminel sur notre Président. Il serait susceptible, irritable. Mazette ! Et, il serait atlantiste au possible, nous aurait embarqué en Irak s’il avait été Président quatre ans plus tôt. Tu parles d’un scoop ! Cela fait un bail que tout le monde sait tout cela. Sarkozy est allé dire à New-York à l’automne 2006 qu’il aimait qu’on le surnomme « Sarko l’Américain », a qualifié la position française sur le dossier irakien d’arrogante. Et depuis, il a fait faire à notre Nation son retour dans les structures intégrées de l’OTAN. En fait, pour connaître tout cela, il fallait lire en 2006 le rapport du PS qui qualifiait Nicolas Sarkozy de « néoconservateur à papiers français », rapport signé par un certain Eric Besson. Je me demande s’il n’aurait pas fallu interdire la diffusion de cette outrancière publication. Mais que faisait donc le ministre de l’Intérieur de l’époque ?
Enfin, pour cette histoire de transparence, dont je déteste, comme Koz et tous mes amis de Causeur, la dictature, êtes-vous, monsieur le ministre le mieux placé pour la combattre ? Est-ce que celui, qui comme son Président de recruteur, met en scène ses coucheries sur la place publique ne devrait pas, au contraire, la mettre en veilleuse sur le thème de la transparence ? Ceux qui soutiennent que le Président de la République et celui de l’UMP doivent se confondre afin d’être véritablement transparents et ne pas céder à l’hypocrisie coupable des précédents présidents de la Ve République ne sont-ils pas les moins bien placés pour donner des leçons en la matière ? Ou alors, se rendent-ils compte que cette hypocrisie et ce secret avaient du bon et que c’est ce qu’on appelle effectivement la civilisation ; qu’ils se sont plantés sur toute la ligne et qu’ils rament maintenant dans l’autre sens avec le dangereux zèle des néophytes ?
A tout cela, il faudra bien que vous répondiez, monsieur le ministre. Mais sachez une chose : dans vos prochaines tentatives d’interdiction et de filtrage, nous ne demeurerons pas inertes. Votre passage au ministère du numérique ne sera pas un chemin pavé de roses, soyez en certain.
Salutations.
David Desgouilles
http://carnet.causeur.fr/antidote/lettre-a-monsieur-besson,001317